Frédéric Saunier
Directeur Général, Diapason
Les techniques liées à l’Intelligence Artificielle trouvent plusieurs applications dans le domaine de la trésorerie. Elles permettent d’améliorer les processus liés aux prévisions de trésorerie, à la réconciliation bancaire, à la couverture des risques de change, et à la prévention de la fraude. En complément de l’amélioration des fonctionnalités traditionnelles liées à trésorerie et à la gestion des risques de marché, l’avenir des TRMS (Treasury & Risk Management Systems) passe nécessairement par l’application de ces techniques au métier de la trésorerie.
Il ne s’agit naturellement pas de substituer ces technologies au savoir-faire des trésoriers et opérateurs de marchés, mais au contraire de leur fournir des outils de contrôle et d’aide à la décision, qui de surcroît, limiteront le risque opérationnel et faciliteront la tenue de certaines tâches chronophages et à faible valeur ajoutée.
Faire décoller l’Intelligence Artificielle dans le monde de la Trésorerie d’Entreprise
Les techniques existantes ne sont pas récentes. Néanmoins, leur démocratisation aux métiers de la trésorerie n’a trouvé que peu d’application concrète à ce jour. Il est à ce titre absolument nécessaire d’effectuer un travail de pédagogie, tant sur le plan technique et sur la nécessité d’accéder à une donnée de qualité, que sur ses impacts au niveau des ressources humaines. L’objectif de ces processus est de fournir des outils de contrôle, et d’affinement, mais en aucun cas de se substituer à l’humain. Un parallèle peut être effectué avec le trading électronique, qui n’a pas été en mesure de prendre en considération certains accidents de marché. C’est la combinaison de l’I.A. et de la vision critique de l’humain qui optimisera les processus.
Par ailleurs, la nécessité de disposer d’informations exhaustives et de qualité peut être considérée comme un frein au lancement d’un projet de ce type. Une étude préalable permettant de répertorier les sources de données pertinentes est un prérequis à tout projet d’I.A.
Ceci étant, l’application de procédés d’Intelligence Artificielle permet de fiabiliser l’ensemble de la chaîne de traitements, et de fournir des outils d’aide à la décision difficilement accessibles avec les méthodologies traditionnelles. L’I.A. s’applique ainsi à la modélisation des prévisions de trésorerie et de position de change, à la détection de la fraude et à l’optimisation de la réconciliation bancaire.
Les trésoriers savent que la qualité d’une prévision de liquidité et de position de change est un prérequis à la mise en place d’une politique de financement et de couverture. En d’autres termes, des données fiables permettent d’éviter les coûts liés à mauvaise décision en termes de financement ou de couverture.
Avec notre solution Diapason, nous sommes actuellement dans une phase expérimentale. Plusieurs clients sont associés à cette expérimentation, dans le cadre d’une maquette que nous réalisons conjointement sur la base de leurs données.
L’expérience démontre que la phase de nettoyage des données représente l’étape la plus délicate et la plus chronophage du processus.
Des premiers résultats prometteurs ont néanmoins permis d’obtenir des marges d’erreur faibles entre les résultats obtenus par les modèles, et les réalisations de trésorerie constatées.
L’application de l’IA aux processus de prévisions
Il est nécessaire en parlant d’Intelligence Artificielle de distinguer les différents niveaux d’automatisation existant :
Les moteurs de règles qui exécutent un ensemble d’opérations métier dans un contexte précis. Il s’agit généralement d’algorithmes déterministes avec une base de règles prédéfinies.
Le Machine Learning se base sur des techniques d’apprentissage et permet d’adapter les paramètres du système aux données traitées. Dans le contexte des prévisions de trésorerie les données traitées sont structurées et les algorithmes classiques de M.L. (notamment pour l’analyse de séries temporelles) fournissent des résultats satisfaisants.
Par ailleurs, les techniques de Deep Learning peuvent être utilisées en amont de la prévision pour extraire par exemple les facteurs explicatifs, pour la sélection de modèles ou dans les cas où les performances des algorithmes classiques sont insuffisantes.
Il reste cependant souvent nécessaire d’ajouter des éléments exogènes au modèle afin d’émettre des prévisions plus pertinentes. Les données nécessaires pour établir une prévision de trésorerie sont en effet composées de données endogènes (a minima, réalisations de trésorerie passées) et potentiellement de données exogènes (par exemple, des indicateurs de saisonnalité, ou toutes données de marché ayant un impact sur l’activité opérationnelle).
Toute information, endogène comme exogène, peut être en théorie exploitée pour effectuer de l’analyse prédictive. Néanmoins, l’expérience montre que la collecte de ces informations qui proviennent de sources très variées, et souvent de façon non structurée, représente la phase la plus complexe d’un projet d’I.A.. De surcroît, l’accès aux données exogènes peut s’avérer complexe, voire coûteux.
Les autres domaines de la trésorerie couverts par l’IA
La réconciliation de trésorerie est une fonctionnalité qui peut fortement bénéficier des techniques d’auto-apprentissage proposée par l’Intelligence Artificielle. En effet, l’historique des réconciliations effectuées est une base de données précieuse pour suggérer des comportements de rapprochement automatique.
La détermination de la position de change (en partie déclinée à partir des prévisions de trésorerie), ainsi que l’optimisation du ratio de couverture sont également des domaines où les apports de l’Intelligence Artificielle sont considérables. Une fiabilité accrue de la position de change permet d’optimiser les couvertures à mettre en place, et de réduire le risque de change, tout en limitant les coûts induits par une éventuelle sur-couverture.
Enfin, la détection de la fraude est à ce jour principalement traitée par des moteurs de règles (qui identifient les comportements atypiques). Les apports de l’Intelligence Artificielle iront au-delà de cette approche, en particulier en limitant les faux positifs générés par les méthodes existantes (du type moteur de règles), et donc les recherches manuelles coûteuses.
Les grandes étapes d’un projet d’implémentation de l’IA dans les prévisions de trésorerie
Pour un projet d’analyse prédictive dans le domaine des prévisions de trésorerie (ou pour tout projet reposant sur l’analyse de séries temporelles) :
La première étape, qui est sans doute la plus complexe, consiste à répertorier l’ensemble des sources de données nécessaires (tant endogènes qu’exogènes).
Il peut s’agir du TRMS (système de gestion de trésorerie et des risques), de l’ERP (progiciel de gestion intégré), du système d’information de la fonction « consolidation financière », des relevés de comptes etc…, pour les données endogènes. Et de sources externes pour les données exogènes.
Une fois ces données identifiées et consolidées dans un entrepôt de données, il est nécessaire de les nettoyer (ajouter les données manquantes, supprimer les données redondantes et aberrantes)…, puis de les homogénéiser.
Ces données doivent faire l’objet de processus de visualisation, permettant de les appréhender de façon concrète (visualisation en fonction des principales variables explicatives les composant), avant une phase d’analyse avancée (en termes de saisonnalité, de corrélations etc…).
L’étape de modélisation peut alors démarrer.
De même qu’il n’existe pas une méthodologie de transformation unique, il n’existe pas une technique unique de modélisation. Certaines techniques peuvent être plus ou moins efficaces en fonction des données. La solution proposée doit être à même de suggérer le modèle le plus efficient en fonction du profil des données analysées.
Enfin, les modèles reposant sur des techniques d’autoapprentissage, évolueront au gré des nouvelles données alimentant la base.
Des événements exceptionnels, tels que le COVID-19, ou une opération de croissance externe ponctuelle ne peuvent être anticipés au travers d’un modèle. L’intervention de l’expert métier est à ce niveau déterminante pour corriger ces limites (quand c’est possible).
Il est par ailleurs fondamental de disposer de processus de « back testing », et d’analyse « out of sample » (analyse des erreurs reposant sur un processus de réentraînement réalisé sur des données réelles) pour ne pas introduire de biais dans le modèle.
Dans tous les cas, l’expérience du trésorier et son regard critique sur les résultats fournis par les modèles sont primordiaux pour déceler de possibles failles dans la modélisation.
Facteurs clés de succès pour un projet de mise en place
- La première clé du succès dépend de la qualité de la donnée. Selon l’adage populaire dans le monde de la « data science », « garbage in, garbage out » : s’appuyer sur des données incorrectes produit un résultat incorrect. Il est ainsi absolument nécessaire s’assurer de disposer de données exhaustives, nettoyées des valeurs aberrantes ou redondantes, reproduisant les données manquantes.Ainsi, une fois les sources de données identifiées, nous accompagnons le client dans la détermination des données manquantes, aberrantes, et redondantes, et des facteurs exogènes. Cette phase nécessite une forte interaction avec le client, seul capable de juger de la qualité de ces données.La seconde étape consiste à adapter et transformer la donnée, et à créer les facteurs explicatifs nécessaires à la préparation de la donnée qui fera l’objet de la modélisation.
- Le second facteur clé de succès repose sur l’implication des équipes métier. Il est en effet illusoire de penser que la machine peut se substituer à l’expérience humaine. L’œil critique de l’expert métier est fondamental, tant dans l’analyse des données en amont du projet, que dans le contrôle ou potentiellement la correction des résultats obtenus. Nous ne répèterons jamais assez que ces techniques ne remplacent pas l’humain, mais ont pour vocation à l’aider dans la qualité et la rapidité de ses prises de décision.
Au final les résultats de nos travaux montrent d’ores et déjà que l’Intelligence Artificielle se promet d’être un outil d’aide à la décision précieux pour les trésoriers. En plus de leur faire gagner du temps au quotidien et d’aider à sécuriser certains processus, ce nouvel outil va permettre d’éviter d’importants coûts liés à du surfinancement, de la sur-couverture, ou à des pertes de change liées à une mauvaise anticipation de la position.
A propos de l’auteur
Frédéric Saunier, Directeur Général de Diapason
Spécialiste des services financiers depuis plus de 25 ans, Frédéric Saunier accompagne la digitalisation des directions financières des clients de Diapason. Expert de l’Intelligence Artificielle, de la Blockchain, la Sécurisation des flux financiers et du développement durable (ESG), Frédéric vous partage son expertise à travers ses articles.