L’IA dans la finance, entre promesses et réalités ?

Alors que le marché de l’IA évolue actuellement de manière exponentielle, cette technologie peut-elle réellement transformer la gestion financière, ou s’agit-il d’une bulle promettante plus qu’elle ne peut offrir ? Retour sur la montée en puissance du marché de l’IA et des investissements dans les entreprises du secteur, ainsi que sur les usages qui peuvent en être faits, notamment en gestion de trésorerie.

D’après les études réalisées chaque année par Mac Kinsey pour la Banque de France1, tous les secteurs d’activité utilisent de manière équivalente l’IA sauf dans les grandes entreprises internationales des services financiers.

Panorama des utilisations de l’IA dans les entreprises du secteur de la finance

Le développement de produit

Dans le secteur des services financiers, les technologies d’intelligence artificielle sont en premier lieu plébiscitées pour le développement de produits (27%) et en particulier pour la construction de portefeuilles d’actifs financiers, les stratégies d’exécution de transactions en fonction des conditions de marché, l’analyse de données de comportements des produits, la personnalisation des caractéristiques produits par une meilleure compréhension du contexte du client ou encore, pour la tarification dynamique en fonction d’un certain nombre d’éléments de contexte.

"Les grandes entreprises internationales des services financiers se distinguent notamment par les différents usages qu’elles font de l’IA, et en particulier pour le développement de produits, la gestion financière, les opérations avec la clientèle ou encore la gestion des risques."

Thierry Dinard,

Consulting in payments and regulatory compliance & Syrtals Group development

Gestion de trésorerie

Ces entreprises recourent aussi à l’IA dans le domaine de la gestion de trésorerie  (21%) et en particulier pour réaliser des prévisions de trésorerie et des prévisions de change.

Les opérations avec la clientèle

L’utilisation de l’IA dans les opérations avec la clientèle, également importante (20%), est plus ancienne dans les sociétés financières. Depuis plusieurs années déjà, les chatbot et voicebot permettent de mieux orienter le client vers le service support le plus pertinent. Aujourd’hui, l’IA générative permet à ces services de pousser un cran plus loin l’usage de l’IA pour par exemple générer des réponses de plus en plus personnalisées ou des recommandations spécialisées au travers des robots Advisor, automatiser des tâches auparavant manuelles, rechercher des données non structurées dans des contrats pour mieux répondre à la clientèle, faciliter l’on-boarding client ou encore pour rendre STP (Straight-Through Processing) les paiements internationaux.

La gestion des risques

L’IA est également utilisée par ces entreprises pour la gestion des risques (16%), et en particulier pour suivre les transactions suspectes (fraude, blanchiment…), le filtrage des transactions avec une réduction des faux positifs, les opérations de surveillance de trade finance, l’amélioration de la cybersécurité, la solvabilité des clients, la conformité des contrats et leur mise à jour réglementaire, l’amélioration de l’efficacité du régulateur…

Autres usages

Les services informatiques des sociétés de finance s’appuient notamment sur l’IA pour développer des codes plus rapidement ou encore améliorer la bande passante des développeurs (7%). Dans le marketing et les ventes, l’IA permet de personnaliser les conseils financiers et fiscaux (6%). L’IA peut également être utilisée par la supply chain (2%) et les RH (1%).

Risques et opportunités de l’IA

Un marché en forte croissance

Selon une étude Statista, le marché de l’IA progresse fortement, passant de 108,4 milliards de dollars en 2020 à plus de 300 milliards de dollars en 2024. Un marché qui devrait doubler à horizon 2030. Parallèlement, le nombre d’utilisateurs sur la même période a bondit entre 2020 et 2024, passant pour sa part de 115 à 300 millions avec des projections à plus de 700 millions d’utilisateurs d’ici 2030.

Le risque de bulle de l’IA

La dynamique du marché de l’IA s’illustre également par l’augmentation exponentielle des investissements dans ce secteur, qui font apparaître un risque de bulle de l’IA.

En 2023, 45 milliards de dollars ont ainsi été levés par les start-up spécialisées dans l’IA. L’IA générative (LLM) a pour sa part attiré 48% du financement total en 2023, contre 8% en 2022. Par ailleurs, selon Bloomberg, le marché de l’IA représentait 1300 milliards de dollars en 2023, en croissance de 43% par an par rapport à 2022. Goldman Sachs estime pour sa part à 1000 milliards de dollars les investissements à venir dans les prochaines années dans l’IA.

Parallèlement, la valorisation des entreprises de l’IA est particulière élevée avec des revenus qui ne suivent pas. OpenAI génère ainsi 3 milliards de dollars de revenus par an alors qu’elle est valorisée à 157 milliards en dettes après une levée de fonds de 6.6 milliards de dollars. Perplexity pour sa part est valorisée à 9 milliards de dollars (contre 520 millions de dollars lors de sa précédente valorisation), pour des revenus de 50 millions d’euros.

Si le marché de l’IA crée beaucoup d’effervescences et attire de nombreux investisseurs, pour le moment, les revenus des entreprises du secteur ne suivent pas, faisant apparaître un risque de bulle, poursuit Michel Khazzaka, Fondateur de Valuechain. Pour autant, l’IA ne devrait pas s’effondrer. Tout l’enjeu consiste à identifier les usages que nous pouvons faire des milliards de dollars investis dans l’IA.

Michel Khazzaka,

Fondateur de Valuechain

Une technologie en évolution constante

Si l’IA a fait un grand bond en avant ces dernières années, elle n’a cependant pas encore atteint l’objectif de tromper l’humain, d’autant que l’intelligence humaine reste source de valeur. En effet, l’intelligence naturelle permet à l’humain de penser, comprendre et s’adapter. Les humains apprennent par observation, interaction et retours d’expériences… L’intelligence humaine dispose d’une flexibilité cognitive qui pour le moment n’a pas d’égal dans l’IA.

L’intelligence artificielle pour sa part simule cette intelligence, dans des machines programmées ou qui apprennent, afin de résoudre des problèmes. Il existe des IA basées sur des systèmes experts, d’autres sur l’apprentissage automatique supervisé ou non, d’autres encore sur des réseaux de neurones et apprentissages profonds.

Le recours à l’IA nécessite des objectifs pré définis et des données d’entrainement en grandes quantité, précise Michel Khazzaka, Fondateur de Valuechain. Contrairement à l’intelligence humaine qui est une pensée consciente, l’IA est limitée à des tâches computationnelles, sans conscience ou émotion. Elle est plutôt utilisée pour des tâches répétitives et intensives en données.

Michel Khazzaka,

Fondateur de Valuechain

Les limites de l’intelligence artificielle

Selon un article sur les limites de l’IA publié par six chercheurs d’intelligence artificielle qui travaillent chez Apple, les LLMs (Large Language Model) et l’IA en général ne peuvent pas raisonner. Certes l’IA est capable de réfléchir, de produire et d’analyser son propre résultat. Cependant raisonner, c’est aussi donné un sens à un résultat et prendre des décisions intelligentes et correctes ensuite. Or, dès lors qu’il y a une erreur ou un élément parasite dans le prompt, l’IA n’est pas capable de le détecter.

D’autre part l’IA ne peut jamais diverger. Son niveau d’intelligence ne peut jamais dépasser un seuil pré calculable : elle ne peut pas augmenter à l’infini sans contrôle.

Enfin, sur la plan énergétique, l’IA représente près de 2 % de la demande énergétique mondiale. L’IA générative consomme parfois plus de 33 fois plus d’énergie pour faire une même tâche qu’un modèle expert. L’entrainement des grands modèles de langage est particulièrement énergivore et Wells Fargo prévoit que la demande énergétique de l’IA augmentera de 550% entre 2024 et 2026, passant de 8 à 52 TWh.

"Même si l’IA vit une bulle, connait des limites et ne pourra jamais « être consciente », elle contribue néanmoins à l’efficacité de nos entreprises, l’augmentation de la satisfaction de leurs clients"

Michel Khazzaka,

Fondateur de Valuechain

Quelle IA utiliser ?

Le choix de l’IA se fait en fonction des cas d’usage. Pour beaucoup de cas d’usage, le recours à l’IA ne sera pas nécessaire. Pour d’autres, l’IA sera intéressante en complément d’un système expert. En revanche, il existe peu de cas d’usage où l’IA est suffisante à elle seule.

Ainsi, pour des entreprises qui traitent des données massives, bien codées et structurées dans plusieurs pays, (relatives par exemples à des pannes sur des machines, des supports de cartes bancaires, des systèmes d’assistances…), les systèmes experts sont alors beaucoup plus efficients et fiables que l’IA pour rendre le même service et ce, à des coûts infiniment moins chers. Certes l’IA peut répondre à une partie du besoin, mais elle n’est pas toujours suffisamment efficiente.

Exemple de cas d’usage de l’IA

  • A partir d’un enregistrement vidéo, le système d’IA permet d’analyser la vidéo en temps réel. Elle télécharge la vidéo, transforme le son en texte, crée des micros fichiers audios pour chaque mot et chaque phrase, analyse le texte et le formate avec des paragraphes, des chapitres, des titres pour proposer un texte synthétique avec un executive summary puis tout le contenu, et ce, de manière formatée.
  • L’IA peut simuler un dialogue entre un économiste de la théorie monétaire et un scientifique physicien pour rapprocher la théorie monétaire de la théorie de la thermodynamique.
  • L’IA permet à une entreprise d’auditer en local des millions de contrats et de vérifier leur conformité. Une démarche impossible à réaliser avec de simples systèmes experts
  • L’IA permet de réaliser des analyses prédictives des positions de trésorerie et de change

L’IA pour réaliser de l’analyse prédictive dans les positions de trésorerie et de change

Etat des lieux

La capacité à bien modéliser la prévision de trésorerie est un enjeu de gestion de trésorerie historique dans la plupart des entreprises. Cette prévision repose souvent sur l’expérience du trésorier, sur son intuition, sa connaissance intime des motifs de trésorerie passés dans l’entreprise en question. Elle repose également souvent sur des règles de transformation assez basiques articulées autour de la position de trésorerie de l’année passée à laquelle un pourcentage de progression pour l’année à venir sera appliquée. Dans les grands comptes, les positions de trésorerie consolidées de l’ensemble des filiales au niveau d’une centrale de trésorerie reposent aussi sur du déclaratif en provenance des sociétés opérationnelles avec assez peu de contrepouvoirs et de contrôles réalisés sur ces déclaratifs générant alors naturellement du risque de liquidité. Or, l’intelligence artificielle se prête très bien à la modélisation des prévisions de trésorerie à partir des données.

"Dans le domaine de la gestion de trésorerie, l’intelligence artificielle peut ainsi être utilisée pour réaliser de l’analyse prédictive dans les positions de trésorerie et plus particulièrement autour de la gestion de la liquidité et de la position de change (pour les trésoreries qui modélisent leur position de change à partir de cashflows futurs en devise)"

Frédéric Saunier,

Directeur général de Diapason

La contribution de l’IA à la prévision de la position de trésorerie et de change

Importance de la donnée

Dans les projets d’intelligence artificielle dans la finance et en particulier la gestion de trésorerie, la donnée est un prérequis important. Elle représente la matière première qui sera exploitée pour alimenter ensuite les modèles de prévision.

"La construction d’un modèle de prédiction s’appuie sur des motifs passés de positions de trésorerie, poursuit Frédéric Saunier. C’est à partir de ces données passées que les positions futures seront modélisées."

Frédéric Saunier

Directeur général de Diapason

En matière de prévision de trésorerie, deux typologies de données sont nécessaires :

  • Les données endogènes, à savoir les flux de trésorerie réalisés et validés, sur une profondeur de temps suffisante pour que ce soit représentatif des motifs de trésorerie passés. Tout l’enjeu pour les grands groupes, repose sur leur capacité à identifier où se trouvent ces données qui parfois sont disséminées dans différents outils (TMS, ERP…). Il convient ensuite de les harmoniser et de les nettoyer afin d’alimenter le modèle de prévision.
  • Les données exogènes, propres à chaque activité et entreprise comme par exemple le coût des matières premières (or, métaux …), la fluctuation des taux de change, les prix de certains produits indexés sur des marchés côtés (céréales…) ou encore les perspectives macro-économiques. Ces données exogènes permettent d’affiner encore plus le modèle de prévision.

Quelles que soient la nature de ces données, leur qualité est indispensable.

La méthodologie

La mise en place d’un projet d’intelligence artificielle s’articule autour de trois étapes :

  • Identification du besoin : prévision de trésorerie court, moyen ou long terme, prévision d’encaissements, exposition de change prévisionnelle.
  • Identification des données nécessaires et de leur localisation, nettoyage de ces données.
  • Choix de la ou des typologies d’algorithmes qui seront appliquées à ces données pour réaliser les prévisions.

La méthodologie va différer selon la complexité des motifs rencontrés. Il peut s’agir de méthodologies statistiques, ou de méthodologies plus élaborées tels que des réseaux de neurones, suivies de phases de calibrage de ces différentes méthodes pour parvenir à un résultat satisfaisant. Le modèle utilisé sera différent en fonction des environnements rencontrés, l’objectif étant in fine de disposer de prévisions robustes, fiables et qui permettent de limiter les risques de marché, de liquidité ou encore de change.

Les objectifs

Les objectifs de ces projets sont nombreux

  • Traiter des volumes de données importants. Ils s’articulent sur des méthodologies de séries temporelles (car la prévision de trésorerie est une quantité numérique qui évolue dans le temps) et multivariées (compte tenu de l’ensemble des paramètres fournit au modèle pour affiner les résultats).
  • Capturer des motifs de trésorerie complexes, parfois invisibles à l’œil nu.
  • Faire de la prévision de trésorerie sur plusieurs « pas de temps ». Cela peut être à la journée pour construire une prévision de trésorerie sur 5 jours mais aussi mensuel pour faire de la prévision budgétaire.
  • Fournir des variables explicatives des résultats fournis

In fine, l’objectif consiste à fournir des résultats robustes et reproductibles.

Grâce à ces méthodologies, nous avons ainsi obtenu des résultats très satisfaisants avec des R2 (corrélation entre une prévision et une réalisation), qui se situait autourde 93% sur le premier pas de temps, précise Frédéric Saunier. Cependant, il convient de calculer préalablement le ROI attendu car l’effort à réaliser pour obtenir quelques pourcentages complémentaires de précision n’est parfois pas forcément rentable.

Frédéric Saunier

Directeur général de Diapason

Les cas d’usages

La modélisation de la position de liquidité 

  • La prévision court terme. Elle est notamment plébiscitée par les sociétés qui ont des difficultés à prévoir leurs encaissements comme cela peut par exemple être le cas dans le ‘retail’ ou dans certains groupes qui alimentent les positions de trésorerie quotidiennes avec les relevés de compte intraday de la banque pour mettre à jour les encaissements.
  • La prévision moyen long terme. Par exemple, dans le cadre d’un cycle budgétaire, il peut s’agir de s’appuyer sur des motifs de trésorerie passés pour construire le budget trésorerie à venir.

La position de liquidité peut être affinée avec des données exogènes, qui permettent alors de réaliser des analyses de corrélation. Il est ainsi possible de mixer des méthodologies d’intelligence artificielle avec des méthodologie statistiques traditionnelles. Par exemple, elle permet de voir quelle est la corrélation entre les variations du cours d’une matière première avec la position de trésorerie, et de réaliser des scénarios pour mesurer l’impact d’une hausse du cours de cette matière première sur une position future de trésorerie.

La modélisation de la position de change

L’IA peut être utilisée par les entreprises qui modélisent leur position de change à partir de cashflows futurs. Une meilleure prévision de la position de change permet d’améliorer la politique de couverture de change et donc, de diminuer le risque de change. Elle contribue également à un meilleur positionnement dans le temps des positions de change et permet ainsi d’en améliorer la synchronisation avec les transactions de couvertures et réduire les coûts qui y sont liés. Enfin, il est également possible dans le cas d’une position de change d’intégrer des éléments probabilistes, par exemple en combinant cette intelligence artificielle avec des méthodologies qui permettent d’améliorer un ratio de couverture de change.

"La valeur ajoutée de ces modèles repose sur leur capacité à capturer des motifs de trésorerie complexes pour obtenir des résultats robustes et fiables mais qui ne viendraient pas forcément en substitution des modélisations existantes mais plutôt de les challenger."

Frédéric Saunier

Directeur général de Diapason

Points clés

  • La qualité de la donnée

  • L’intégration du savoir-faire et de la connaissance métier des trésoriers : les modèles d’intelligence ne vont pas remplacer l’humain. Le financier est indispensable pour évaluer la qualité de la donnée fournie et interpréter l’information fournie par le modèle. C’est l’association de la machine, du data scientist et de la personne du métier de la finance qui permettra d’obtenir un résultat satisfaisant

Sources :
1 The state of AI in early 2024: Gen AI adoption spikes and starts to generate value, étude McKinsey&Company, mars 2024

Simplifier sa gestion de trésorerie - démo

A propos de l’auteur

Valérie Lafaury, Chief Marketing Officer

Valérie est la CMO de Diapason, la solution qui simplifie la gestion de trésorerie des entreprises. Elle rédige les communiqués de presse, les articles de fond et d’actualité sur les sujets autour du métier de trésorier. Son objectif est de fournir aux trésoriers des informations utiles et pratiques pour optimiser leur gestion de trésorerie et les aider dans leur quotidien.

Valerie Lafaury

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